La dangereuse illusion que « l’Ukraine est en train de gagner »

En évoquant d’éventuels pourparlers de paix sur l’Ukraine, le chef d’état-major américain, le général Mark Milley, a provoqué un tollé chez les faucons de l’OTAN (voir AS 47, 48/22). L’administration Biden a clairement exprimé sa position en préparant une nouvelle enveloppe de près de 40 milliards de dollars d’aides militaires, tandis que l’aide fournie par le Royaume-Uni devrait se monter à 4 milliards de livres. L’OTAN semble croire qu’accroître la livraison d’armes permettra d’humilier et de vaincre totalement la Russie.

Or, cette logique se trouve de plus en plus contestée par des experts militaires compétents, contrairement aux responsables militaires et du renseignement liés au « complexe militaro-industriel » et aux représentants du monde financier, pour qui la guerre est avant tout une affaire commerciale.

Ainsi que l’a fait remarquer l’un de ces experts militaires, le colonel Douglas MacGregor (cr), c’est pour saper la capacité de Kiev à poursuivre la guerre que la Russie mène des attaques contre le réseau électrique, les hubs ferroviaires, les dépôts de carburant, les ponts, etc. Le déploiement de nouvelles forces russes, a-t-il souligné dans diverses interviews récentes, permettra de couper les lignes d’approvisionnement venant de Pologne, laissant les troupes ukrainiennes isolés et vulnérables.

C’est également l’avis du colonel Daniel L. Davis (cr), membre de la fondation Defense Priorities. Il évoque l’intention russe de fermer les deux corridors d’approvisionnement des troupes ukrainiennes, depuis la Pologne, à l’ouest, et depuis Kiev. Si ces corridors sont coupés, « il deviendra presque impossible pour Kiev de soutenir des opérations de guerre au-delà de quelques semaines ». Il estime que le déploiement de 218 000 soldats russes en renfort permettrait à la Russie d’y parvenir.

Mentionnons enfin l’ancien inspecteur en désarmement de l’ONU, Scott Ritter, qui raille l’idée que Moscou serait prête à négocier à cause de sa faiblesse. Les Russes y sont disposés depuis le début et selon Ritter, c’est parce que le président Zelensky, poussé par l’OTAN, refuse de négocier que la Russie est prête à écraser l’Ukraine.

Si ces trois experts ont raison, quelle sera la réaction de l’OTAN ? Comme il semble que les pays membres manquent de munitions et de capacités de production militaire suffisantes pour augmenter l’implication de l’Alliance occidentale, la seule option viable consisterait à engager des entretiens avec Moscou — ce que l’OTAN a toujours refusé de faire depuis le coup d’État du Maidan, en février 2014. A ce propos, Petro Porochenko, le président ukrainien élu peu après ce putsch, a ouvertement dévoilé un secret de polichinelle lors d’un récent appel téléphonique : son gouvernement n’a jamais pris au sérieux les accords de Minsk, a-t-il reconnu, mais cela lui a permis de gagner du temps pour former, en collaboration avec l’OTAN, les forces armées ukrainiennes afin de pouvoir imposer une « solution » militaire dans le Donbass.

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