Recours à l’arme nucléaire : la nouvelle doctrine stratégique américaine entretient l’ambiguïté

Alors que Londres et Washington accusent le président Poutine de vouloir utiliser l’arme nucléaire en Ukraine, les Etats-Unis adaptent leur positionnement stratégique en vue d’une guerre nucléaire. La divulgation de La Stratégie de défense nationale 2022 (NDS) du Pentagone, le 27 octobre, confirme sans le dire la planification de l’option de « guerre permanente ». La notion centrale du document est la « dissuasion intégrée », décrite comme une coopération parfaitement harmonieuse entre « tous les domaines de guerre, les théâtres, la palette de conflits, tous les instruments de la puissance nationale américaine et nos réseaux d’alliances et de partenariats ».

Le secrétaire à la Défense Lloyd Austin précise dans son introduction que c’est dans cette optique que la Nuclear Posture Review (NPR) et la Missile Defense Review sont pour la première fois incluses dans la NDS « de manière intégrée, pour assurer des liens étroits entre notre stratégie et nos ressources ». Cela permettra aux États-Unis, selon lui, de « maintenir et renforcer notre dissuasion » qui vise principalement la Chine (« le principal défi ») et la Russie pour son comportement « irresponsable » en Ukraine.

L’inclusion de la NPR est particulièrement significative, du fait qu’elle incarne un changement de la politique américaine concernant la première utilisation de l’arme nucléaire. Selon l’expert en désarmement nucléaire Scott Ritter, la question de savoir à quel moment les États-Unis seraient amenés à déployer l’arme nucléaire est abordée dans un langage délibérément ambigu, de même que la possibilité de lancer une attaque nucléaire préventive en réponse à un incident non nucléaire – ce qui abaisse considérablement le seuil de la guerre nucléaire. Cette modification de la politique américaine est particulièrement dangereuse car elle trahit la volonté de s’engager dans une « guerre permanente » pour défendre l’ordre unipolaire menacé, y compris en recourant à l’arme nucléaire.

Le jour même de la publication de la nouvelle NDS, un article paraissait dans Foreign Affairs, le journal du Council on Foreign Relations, sous le titre : « L’Amérique pourrait-elle gagner une nouvelle guerre mondiale ? Ce qu’il faudrait faire pour vaincre à la fois la Chine et la Russie ». L’auteur Thomas Mahnken appelle à un programme de réarmement massif pour permettre aux États-Unis de faire la guerre simultanément à la Chine dans le Pacifique et à la Russie en Europe de l’Est.

Dans la foulée, le 3 novembre, le chef du Commandement stratégique américain, l’amiral Charles Richard, affirmait avec enthousiasme que le moment était venu pour les États-Unis de lancer une grande mobilisation nationale comparable à celle pour aller sur la Lune en 1969. Dans quel objectif ? Eh bien, pour produire de nouvelles capacités militaires nucléaires afin de contrer la Chine. Qualifiant la guerre actuelle en Ukraine de « simple échauffement », il a affirmé que « la grande guerre » est encore à venir. « Et ça ne sera pas bien long avant que nous soyons testés d’une façon dont nous ne l’avons pas été depuis longtemps. Nous devons opérer un changement fondamental rapide dans la manière d’aborder la défense de cette nation… »

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