Pour établir la paix, il faut en finir avec la géopolitique

 Nous reprenons ici la déclaration publiée le 17 février par l’Institut Schiller et diffusée sur le plan international, notamment aux divers rassemblements et meetings contre la guerre en Europe, aux Etats-Unis et en Ibéro-Amérique. La déclaration, intitulée « Élever l’humanité à un âge de raison ou disparaître ? », est disponible en version PDF sur le site https://www.institutschiller.org.

L’envoi irresponsable de toujours plus d’armes lourdes en Ukraine doit cesser immédiatement. Le « récit » officiel affirmant qu’il n’y a pas de ligne rouge, que « l’Ukraine doit gagner » et que « la Russie doit être détruite » est insensé. La plus grande puissance nucléaire de la planète, la Russie, ne peut pas perdre la guerre, mais on peut tous la perdre ensemble. Toute escalade – attaque de la Crimée ou frappes sur le territoire russe – serait une folie totale. L’illusion d’une guerre nucléaire régionale limitée « gagnable » conduirait à court terme à une guerre thermonucléaire à l’échelle mondiale, suivie de longues années d’hiver nucléaire qui marqueraient la fin de toute vie sur Terre. C’est à cela que jouent les faucons !

L’objet du conflit n’est pas l’Ukraine. Le peuple ukrainien est broyé dans une guerre par procuration, à visées géopolitiques, et nous ne l’aidons aucunement en faisant durer cette guerre jusqu’à la mort du dernier Ukrainien. Elle reflète le fait que nous vivons un changement d’époque, que nous sommes à la fin de l’ère de l’oppression coloniale et que les pays du Sud réclament désormais leur droit inné au développement. Tout effort pour maintenir le monde unipolaire est vain, car il n’existe déjà plus. L’ordre ancien, qui ne suit aucune règle et n’a rien d’un ordre, tente d’empêcher un changement du statu quo qui protège les privilèges des milliardaires mais néglige les milliards de personnes à qui tout manque ou presque.

Cet « ordre fondé sur des règles » tente de mettre en place une OTAN mondiale par le biais d’un ensemble de traités militaires comprenant l’accord OTAN-UE, l’AUKUS (partenariat Australie / Royaume-Uni / États-Unis) et « l’accord d’accès réciproque » entre le Royaume-Uni et le Japon. Cela ressemble de plus en plus à une marche vers une épreuve de force mondiale avec la Russie et la Chine, dont la montée en puissance est considérée comme une menace existentielle.

Selon Evan Ellis, expert de l’U.S. Army War College en matière de relations ibéro-américano-chinoises, une guerre avec la Chine au sujet de Taïwan éclatera inévitablement au plus tard en 2025, et elle sera mondiale.

Au milieu de cette escalade, le journaliste Seymour Hersh a lâché une bombe en publiant les résultats de son enquête sur le sabotage du gazoduc Nord Stream : ce sont les États-Unis qui en sont les auteurs.  Il décrit comment leur planification secrète pour faire sauter les pipelines Nord Stream a commencé plus de neuf mois auparavant, et un grand débat a eu lieu au sein de la communauté du renseignement pour savoir s’il fallait le faire ou non, étant donné le potentiel d’un gigantesque retour de bâton. Lors d’une conférence de presse avec le chancelier allemand Scholz, le 7 février 2022, le président Biden a déclaré aux médias présents que si la Russie entrait en Ukraine, les États-Unis avaient les moyens d’empêcher la mise en service du gazoduc Nord Stream. Et le chancelier Scholz est resté là, comme un petit garçon, sans marmonner un seul mot depuis lors. En conséquence, l’Allemagne est en voie d’être désindustrialisée.

On doit immédiatement ouvrir une enquête internationale sur les accusations de Hersh, en coopération avec la Russie. Parce que s’il est vrai que les États-Unis et la Norvège ont saboté le pipeline, les implications sont énormes. Avec de tels amis, pourquoi l’Allemagne aurait-elle besoin d’ennemis ? Si les accusations de Hersh sont vraies, cela pourrait très bien signifier la fin de l’OTAN.

Nous devons mettre fin au danger de guerre en cessant de fournir des armes à l’Ukraine. Nous devons consacrer tous nos efforts à trouver une solution diplomatique. Avec les aveux de l’ancienne chancelière allemande Merkel et de l’ancien président français Hollande, affirmant qu’ils n’ont jamais eu l’intention de laisser aboutir l’accord de Minsk, toute confiance dans les relations internationales avec ces nations et leurs alliés a été ruinée. Il faut donc tout mettre en œuvre pour soutenir l’offre du pape François de mettre le Vatican à disposition pour engager, sans conditions préalables, des pourparlers entre la Russie et l’Ukraine. Et la formation par le président brésilien Lula d’un « groupe de paix » parmi les nations du Sud devrait venir renforcer les efforts du pape.

Mais au-delà de ces mesures immédiates, nous devons absolument surpasser la géopolitique qui a conduit à deux guerres mondiales au XXe siècle. Nous devons mettre en place une nouvelle architecture internationale de sécurité et de développement, qui tienne compte des intérêts de chaque pays de la planète en matière de sécurité – une leçon que nous aurions dû tirer de la paix de Westphalie – et comprendre enfin qu’il ne peut y avoir de paix sans développement.

Les principes d’une paix durable

Nous devons débattre des principes sur lesquels bâtir l’ordre futur de l’humanité afin d’être en mesure de nous gouverner nous-mêmes. Cet ordre mondial doit garantir la vie et le potentiel créateur de chaque individu sur la planète, et donc éliminer la faim, la pauvreté et le sous-développement. Nous devons conceptualiser et créer des institutions capables de réaliser ces objectifs. Il existe de nombreuses références historiques utiles pour construire ce nouvel ordre juste, telles que les intentions initiales de Roosevelt concernant le système de Bretton Woods, visant à augmenter massivement le niveau de vie des pays du Sud, ainsi que la Charte des Nations unies. Mentionnons également l’Initiative de sécurité globale (GSI) et l’Initiative de développement global (GDI) proposées par la Chine.

L’histoire de l’humanité est à la croisée des chemins : soit nous nous autodétruisons dans une guerre nucléaire mondiale, soit nous réalisons notre potentiel en tant que seule espèce créative connue à ce jour dans l’univers, en trouvant une solution qui surmonte les conflits actuels en nous hissant à un niveau de raison plus élevé. Un bon exemple de cette méthode de pensée nous a été offert au XVe siècle par Nicolas de Cues avec sa Coincidentia Oppositorum, ou coïncidence des opposés, qui part du principe que l’Un a un pouvoir supérieur à celui du multiple.

Il est grand temps de mettre l’ordre politique, économique et social de la Terre en harmonie avec les lois physiques de l’univers, ce qui fera naître un optimisme sans bornes quant à la fécondité légitime qui sous-tend la création. Si nous changeons ainsi notre façon de penser, nous pouvons façonner notre avenir d’une manière dont peu de gens ont une idée aujourd’hui.

Nous utiliserons bientôt l’énergie de fusion thermonucléaire à une échelle industrielle pour surmonter les pénuries d’énergie, nous coopérerons avec les nations africaines pour réaliser la promesse que l’Afrique devienne le continent du futur, nous coopérerons dans le domaine de la recherche scientifique et des vols habités dans l’espace, nous augmenterons l’espérance de vie en découvrant des remèdes à la plupart des maladies et nous créerons une nouvelle renaissance culturelle pour célébrer la créativité de notre espèce, pour ne citer que quelques-unes de ces choses magnifiques que nous deviendrons capables d’accomplir.

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