Non, les BRICS ne sont pas « contre l’Ouest »
Au lendemain du sommet des BRICS à Johannesburg, on a pu entendre, lors de la conférence, de nombreux exposés sur la situation stratégique, notamment de la part de ces trois orateurs, dont voici quelques extraits :
* Une médecine de prévention de la guerre. Le professeur Georgy Toloraya, diplomate russe de haut niveau à la retraite et actuel vice-président du Comité national russe pour la recherche sur les BRICS, a commencé par dire que, bien qu’il s’occupe des BRICS depuis 13 ans et qu’il s’attendait à ce que le groupe « devienne un jour un véritable acteur de la politique mondiale », il était « franchement étonné de voir ce jour arriver si tôt ». Pour lui, le sommet de Johannesburg est « un événement historique » parce que « le nombre de membres a doublé, ce que personne, y compris [lui]-même, n’avait prévu ». Mais plus encore, parce que « pour la première fois, les BRICS se sont déclarés capables et en train de créer un nouvel ordre mondial ».
Selon lui, un facteur ayant contribué à la montée rapide des BRICS fut « le conflit ouvert qui a commencé avec l’opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine, en février 2022. Il a véritablement signalé un nouveau chapitre de l’histoire, où les pays occidentaux ont essayé de faire pression par tous les moyens sur les nouveaux centres de pouvoir pour empêcher l’émergence d’un nouvel ordre mondial ». Or, la grande majorité des pays n’acceptent pas que l’Occident « dicte les règles auxquelles tous les autres doivent obéir ».
C’est une situation nouvelle, a-t-il poursuivi, où la majorité de la planète souhaite « un nouveau modèle de relations internationales » avec des partenariats sur un pied d’égalité. « Nous avons donc une situation turbulente », a déclaré Georgy Toloraya. Elle peut déboucher sur une longue guerre s’étendant sur plusieurs décennies, ou encore sur une guerre nucléaire entre grandes puissances, ce qui signifierait « la fin du monde ». La seule solution est donc de « trouver un moyen de négocier ».
Enfin, le professeur Toloraya a tenu à souligner que les « BRICS ne sont pas anti-occidentaux. Ils ne sont pas contre les États-Unis en tant que pays. Ils ne sont pas contre la civilisation occidentale. Ils ne sont pas contre l’Europe. Les BRICS gardent les bras ouverts pour la coopération avec ces pays, en vue de les inclure : le groupe des BRICS est une structure inclusive. Il est donc ouvert au dialogue et à la coopération, pas entre ‘maître et serviteur’, mais sur un pied d’égalité. Et c’est à cela que nous devrions tous œuvrer. »
* Les vulnérabilités à surmonter. Pour Donald Ramotar, ancien président du Guyana et collaborateur de la Coalition internationale pour la paix, le sommet des BRICS pourrait s’avérer « le début de la fin du néocolonialisme et l’avènement d’une nouvelle ère de libération économique ». C’est l’issue incontournable du fait que les Etats-Unis ont, selon lui, abusé de leur pouvoir dans l’économie internationale et du rôle du dollar pour « imposer leurs positions aux autres pays ». Et ceux qui refusent de s’y plier sont frappés de sanctions, comme on l’a vu à Cuba, au Venezuela, au Nicaragua, en Irak et en Afghanistan.
L’exemple le plus récent est « la mère de toutes les sanctions » que le président Biden s’est vanté d’imposer à la Russie, encourageant, par contre-coup, l’utilisation des monnaies nationales dans les échanges internationaux, avec le soutien des BRICS. Bien que ce groupe incarne d’ores et déjà un potentiel énorme, Donald Ramotar avertit : « Nous devons nous garder de tout sentiment de sécurité non fondé. » Les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN essaieront certainement d’exploiter toutes les vulnérabilités des BRICS pour « contrecarrer et vaincre ce mouvement ».
Parmi ces faiblesses, il a mentionné la dispute frontalière entre l’Inde et la Chine, les tensions autour de la mer de Chine méridionale, la question de l’Arménie et, en Amérique latine, le Mexique, l’Argentine et le Brésil, où l’on peut s’attendre à des tentatives d’écarter le président Lula du pouvoir.
* L’avenir de l’Afrique et des BRICS. David Monyae, directeur du Centre d’études Afrique-Chine (CACS) de l’Université de Johannesburg, avait choisi pour thème « L’avenir de l’Afrique, de la Chine et des BRICS ». Après avoir passé en revue les antécédents du groupe des BRICS depuis la conférence de Bandung en 1955, le professeur Monyae a examiné plus spécifiquement l’impact sur l’Afrique de la puissance économique grandissante des BRICS et la réponse des pays développés à cette réalité. « Au moment où l’Occident a l’impression de perdre sa place, de perdre sa légitimité, de perdre l’influence qu’il avait, en particulier en Afrique », et où la Chine construit des infrastructures, une offensive anti-Chine a été lancée. Dans ce cadre, les pays développés préconisent le « découplage » de l’économie chinoise, ainsi que le « dé-risquage ».
Au cours des dernières semaines et des derniers mois, a-t-il déclaré, « nous avons assisté à des coups d’État sans fin en Afrique de l’Ouest : Burkina Faso, Centrafrique, Soudan, Gabon, Mali, et à des problèmes de terrorisme. La paix et la sécurité deviennent critiques. Un nationalisme des ressources se répand, et ces pays d’Afrique affirment qu’ils ont besoin de plus d’assistance et de coopération en matière de développement d’infrastructures. Mais surtout, ils ne veulent plus uniquement vendre des matières premières, ils veulent les valoriser », notamment les minéraux essentiels à la révolution industrielle, tels que le lithium ou l’uranium. « L’Afrique va donc devenir un acteur important et la concurrence va s’intensifier entre les pays développés d’un côté et, surtout, la Chine et la Russie de l’autre. »
En ce qui concerne la guerre en Ukraine, David Monyae craint qu’elle ne débouche sur « une première phase d’une nouvelle guerre froide » qui aggraverait la situation et où « les États-Unis continueront à considérer l’Afrique sous l’angle de la sécurité plutôt que du développement ».
Pour le professeur Monyae, « développement et sécurité sont inséparables, et c’est pourquoi les propositions du président Xi Jinping sur l’Initiative de sécurité globale, l’Initiative de développement global et l’Initiative de civilisation globale sont des concepts essentiels qui attirent toujours plus de pays africains et de pays en développement ».