Les banques centrales laissent-elles tomber les banques ?

La semaine dernière, la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne ont chacune relevé leur taux d’un demi-point. La hausse de la Fed est la septième d’affilée, portant ses deux principaux taux à 4,25 % et 4,50 %, tandis que la BCE en est à sa quatrième hausse consécutive pour se situer à 2,50 % et 2,75 %. La Banque d’Angleterre est également de la partie, ayant procédé à neuf hausses d’affilée avant d’atteindre 3,5 %.

La Fed comme la BCE ont fait comprendre que d’autres hausses suivront, en vue de réduire l’inflation en drainant des liquidités. Toutefois, le résultat immédiat sera une hausse du coût de refinancement de la dette libellée en dollars ou en euros, qui frappera en particulier les pays en développement, mais aussi un membre du G7 comme l’Italie, dont le ratio dette/PIB est de 130 %. Le Ghana a sans doute constitué un précédent en se déclarant en défaut de paiement, mais il a obtenu en même temps un prêt de trois milliards de dollars du FMI, à condition d’appliquer une austérité sévère, ce qui se traduira par une réduction de la production. En gros, on combat la dette en s’endettant encore plus.

Mais la dette la plus importante, et de loin, est celle liée aux produits dérivés, dont l’ampleur réelle est inconnue car elle est « cachée », c’est-à-dire que les paris financiers de gré à gré n’apparaissent pas dans le bilan des banques. Récemment, la Banque des règlements internationaux a estimé à 97 000 milliards de dollars le volume des produits dérivés de change de gré à gré, toutes devises confondues. L’exposition « cachée » des grandes banques non américaines aux produits dérivés de change basés sur le dollar américain est estimée à 39 000 milliards de dollars. En comparaison, leur capital total ne dépasse pas 3000 milliards, et leurs dettes « non cachées » (c’est-à-dire celles qui figurent dans le bilan) libellées en dollars s’élèvent à environ 15 000 milliards. Et surtout, les réserves totales en dollars détenues par les banques centrales du monde ne représentent qu’environ 7000 milliards de dollars.

Autrement dit : s’il arrive que ces banques aient besoin d’honorer en dollars une part substantielle de ces dettes, les banques centrales toutes ensemble n’en auraient pas assez, et la Réserve fédérale serait obligée d’en imprimer par milliards de milliards. On se retrouverait alors à ce point de la « triple courbe » de Lyndon LaRouche, auquel la quantité d’agrégats monétaires à créer pour empêcher l’effondrement de la dette impayable et dévaluée, atteint la stratosphère…

Au cours des trois dernières années, on a connu trois épisodes de grave pénurie de liquidités en dollars dans les grandes banques internationales, les sociétés de gestion de fonds et, en fin de compte, dans les banques centrales autres que la Réserve fédérale. Le premier en août-septembre 2019 avec l’effondrement du marché international des prêts interbancaires en dollars ; le deuxième en mars 2020, lors de la chute de la demande suite à la pandémie de COVID ; et le troisième à partir de mars-avril 2022, à cause des sanctions de l’OTAN contre le premier producteur mondial de matières premières, la Russie.

Cependant, aucun des trois n’a fait tomber le système bancaire transatlantique, la Réserve fédérale et les autres grandes banques centrales ayant réussi à le sauver à temps. Mais elles nous rappellent l’homme qui, tombant du haut d’un gratte-ciel, est en parfaite santé… avant de s’écraser au sol.

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