La Suisse jette par-dessus bord deux siècles de neutralité

Le 28 février, le Conseil fédéral suisse (le gouvernement) a adopté toutes les sanctions que l’Union européenne avait déjà imposées à la Russie, rompant ainsi avec la longue tradition de neutralité de la Fédération helvétique. Il s’agit d’un revirement par rapport à sa position précédente de ne pas soutenir les sanctions de l’UE, tout en empêchant que la Suisse soit utilisée pour les contourner. Il fait suite à de fortes pressions de la part de Bruxelles.

Suite à cette décision, l’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher, du parti conservateur l’Union démocratique du centre, a regretté que la Suisse ne soit plus en mesure de jouer un rôle crédible de médiateur neutre vis-à-vis de la Russie. Selon lui, les sanctions économiques sont « un acte de guerre » qui n’empêcheront pas l’agression en cours. Dans une interview parue le 7 mars dans le Neue Zürcher Zeitung, Blocher condamne la « guerre d’agression » menée par la Russie en Ukraine, tout en ajoutant : « Les États-Unis et l’UE participent à cette guerre par des sanctions économiques. Avec un gel du pain, comme on disait au Moyen-Âge. On essaie d’affamer un peuple pour forcer ses dirigeants à renoncer à la guerre. Quiconque participe à cette guerre est un belligérant. »

Toujours selon Christoph Blocher, « en tant qu’État neutre, la Suisse ne doit pas se laisser entraîner à prendre parti. (…) En participant aux sanctions, la Suisse se trouve désormais en guerre. Cependant, tout doit être fait maintenant pour mettre fin le plus vite possible à cette terrible guerre. En tant que pays neutre, la Suisse aurait pu apporter une contribution particulière. Elle a laissé filer cette chance. » Il souligne que « plus le monde va mal, plus la neutralité est importante. La non-ingérence ne sert pas seulement à se protéger, elle rend également possibles les bons offices. »

En outre, cela pourrait constituer une violation de la Constitution fédérale, qui donne mandat au Parlement, en vertu de l’art. 173, de prendre « des mesures pour sauvegarder la sécurité extérieure ainsi que l’indépendance et la neutralité de la Suisse », et qui stipule, à l’art. 183, que le « Conseil fédéral prend des mesures pour sauvegarder la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité de la Suisse ». Un référendum populaire visant à annuler la décision du gouvernement semble probable à ce stade.

(On se rappellera que la loi sur le CO2, adoptée l’année dernière par les mêmes partis qui soutiennent aujourd’hui les sanctions contre la Russie, avait été rejetée par la suite, lors d’un référendum national organisé à l’initiative de l’UDC. Voir AS 25, 27/21.)

Un facteur clé dans la décision de participer à la guerre financière contre la Russie pourrait être le scandale alimenté par le Financial Times contre le Crédit suisse, la deuxième banque suisse et l’une des 30 banques mondiales « d’importance systémique ». L’organe de la City de Londres avait divulgué un document interne du la banque, conseillant à ses investisseurs de détruire tous les documents relatifs à certains investissements impliquant des actifs d’oligarques russes.

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