Jacques Cheminade : la condition d’une juste paix en Asie du Sud-ouest est le développement mutuel

Nous reprenons l’éditorial rédigé le 23 octobre par Jacques Cheminade, président de Solidarité et Progrès, pour le magazine Nouvelle Solidarité, sous le titre « Au-delà du possible ».

Gaza est proche. Les atrocités qui s’y déroulent nous concernent. Car nous avons participé et participons encore, avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis, au jeu géopolitique de diviser pour régner, cette volonté coloniale, réfléchie et préméditée depuis le XIXe siècle, de fragmenter l’Orient arabe pour en empêcher le développement. Je le dis non pour culpabiliser, mais pour situer les causes de ce qui arrive afin de pouvoir en inverser le cours.

Qu’en France, presque tout se soit focalisé sur la manière de qualifier le Hamas montre notre incapacité à élever le débat. Bien entendu, massacrer des civils et les prendre en otage est un acte terroriste. Le nier est absurde et immoral. Cependant, ne pas tenter d’en comprendre le contexte revient à se complaire dans la haine de l’autre ou l’impuissance bavarde. Depuis janvier 2006, avec la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes, et en particulier avec l’arrivée au pouvoir de Netanyahou, la stratégie des gouvernements israéliens a consisté à jouer le Hamas, faire de Gaza une prison à ciel ouvert et empêcher ainsi la création d’un Etat palestinien. Diviser pour régner, la vieille méthode coloniale, devint alors celle de l’Etat d’Israël, qui changea de nature.

Le 14 mai 1948, la déclaration d’indépendance lue par David Ben Gourion consacrait un Etat juif et démocratique, établissant « une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous les citoyens » et reconnaissant l’arabe comme seconde langue d’Etat. 70 ans plus tard, le 19 juillet 2018, la Knesset adopta une nouvelle loi fondamentale définissant, elle, l’Etat-nation du peuple juif. L’hébreu devint alors seule langue nationale, l’arabe n’ayant plus qu’un statut spécial, et Jérusalem fut instituée capitale complète et unifiée d’Israël. A l’État des fondateurs se substitua une vision de la société basée sur l’ethnie et la tyrannie de la majorité. La colonisation de la Cisjordanie s’étendit rapidement, bafouant la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU, et l’on acheva la construction du mur de séparation. L’on peut y voir, selon son jugement, une rupture ou l’extension d’un processus.

En 1975, mon ami américain Lyndon LaRouche s’était rendu en Irak pour y présenter un plan de développement pour Israël et la Palestine, s’appuyant au départ sur un fonds irakien alimenté par les recettes pétrolières. Il avait alors rencontré Abba Eban, avant de développer son projet lors d’une conférence à Paris. Un intérêt existait des deux côtés. Aux Etats-Unis, à la question : « Envisageriez-vous de soutenir un tel projet ? », Moshe Dayan avait répondu : « C’est très intéressant. Cela pourrait tout changer. Je suis tout à fait prêt à en savoir davantage. » En avril 1986, Shimon Peres proposait à son tour un plan de dix ans pour le développement du Moyen-Orient. En 1975, LaRouche publia son « Plan Oasis », détaillant sa proposition. Les accords d’Oslo eux-mêmes incluaient une annexe prévoyant ce développement mutuel. L’assassinat de Yitzhak Rabin donna un coup d’arrêt à tout le processus. Les ennemis américains de Rabin proclamèrent que LaRouche était antisémite, accusation qui me fut assénée au cours de ma propre campagne présidentielle de 1995.

Le critère essentiel est que la condition d’une juste paix est le développement mutuel. C’est la perspective commune de la Paix de Westphalie, de la politique de Sully, Laffemas et Olivier de Serres pour donner un fondement à l’Edit de Nantes, et du plan des Cinq mers conçu par Bachar el-Assad pour tout le Sud-Ouest asiatique, annoncé en 2009 lors d’un voyage en Turquie.

Tous ceux qui ont ainsi combattu pour la paix ont été diffamés, persécutés ou assassinés.

Aujourd’hui cependant, une occasion nous est offerte par les Nouvelles Routes de la soie, dont le 3e Forum vient de se tenir à Beijing. Illusion ? Vision dominatrice de la Chine et de la Russie ? Ce serait prêter à l’autre les intentions de sa propre politique, pour laquelle le Moyen-Orient a servi de centre d’expérimentation. Ecoutons d’abord cet autre, dont nos médias occidentaux déforment constamment les propos.

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