Helga Zepp-LaRouche: « Faites fleurir un jardin parmi des millions de jardins ! »

Extraits du discours d’ouverture prononcé par Helga Zepp-LaRouche le 8 juillet à Strasbourg. Le texte intégral sera publié bientôt sur https://www.institutschiller.org/.

Quelle joie de pouvoir accueillir en personne, ici à Strasbourg, des participants de tant de nations, après avoir été contraints par les circonstances de tenir pendant plus de trois ans nos conférences Schiller uniquement en virtuel ! Mais nous avons fait bon usage de ce temps pour rassembler de nouvelles forces dans le monde entier, qui peuvent intervenir ensemble en ce moment crucial de l’histoire mondiale pour créer un nouveau paradigme pour l’avenir de l’humanité.

Disons-le d’emblée : même si notre continent se trouve dans une crise existentielle, nous ne le laisserons pas sombrer. Nous ferons revivre le meilleur de ce que la culture européenne a produit, aujourd’hui enseveli sous les bulles d’une contre-culture décadente et la barbarie des nostalgiques, et nous le ferons contribuer à bâtir le Nouveau Paradigme!

Nous vivons sans aucun doute le moment le plus dangereux que l’espèce humaine ait jamais connu, car nous sommes extrêmement proches de notre extinction en tant qu’espèce sur cette planète, ce qui serait la conséquence d’une guerre nucléaire mondiale. Et contrairement à la propagande des grands médias mainstream transatlantiques, ce danger ne résulte pas de la « guerre d’agression non provoquée lancée par la Russie » ni des « desseins impériaux de plus en plus agressifs de la Chine », mais du fait que les forces transatlantiques jouent sans scrupules avec le feu nucléaire, tout en cherchant par tous les moyens à exercer leur domination unipolaire sur un monde qui évolue depuis longtemps dans une direction multipolaire.

Alors que les grands médias qualifient à l’unisson de « sympathisant de Poutine » quiconque ose penser que l’histoire n’a pas commencé le 24 février 2022, et alors que l’OTAN et le gouvernement américain financent des organisations qui inscrivent des gens sur des listes noires, mettant ainsi leur vie en danger, les nations du Sud planétaire ont acquis une vision indépendante des choses.

On ne peut cacher l’extension de l’OTAN un millier de kilomètres vers l’Est, en direction des frontières russes, en six étapes, malgré les promesses contraires, pas plus que les efforts de l’alliance de défense nord-Atlantique pour s’étendre dans la région indopacifique en OTAN globale. Mais surtout, les représentants de « l’ordre fondé sur les règles » ont franchi le Rubicon avec leurs appels de plus en plus flagrants et arrogants, exigeant que le monde entier se soumette à leurs intrigues et à leurs nouveaux trafics d’indulgence (taxe carbone, échange de quotas d’émission de CO2, etc.) dans l’espoir de prolonger encore un peu l’existence du système financier néolibéral en faillite. Nous assistons à un changement d’époque, non pas du genre de celui évoqué par le chancelier Scholz le 24 février 2022, se résumant à une militarisation de l’Europe en tant que protectorat des États-Unis, mais bien à la fin d’une période coloniale d’environ 500 ans, dont les États du Sud sont déterminés à se libérer définitivement avec l’aide de la Chine et de son Initiative une Ceinture, une Route. (…)

L’ère des blocs géopolitiques est finie

Plus de 30 nations sollicitent leur adhésion aux BRICS, comprenant les pays les plus peuplés du monde. La tentative, principalement menée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, de « se découpler » de la Chine ou de « dé-risquer » les relations, pour reprendre l’expression absurde désormais à la mode, alors que tous ces pays sont étroitement liés à la Chine, ne peut que conduire à un suicide économique ou à la formation de blocs géopolitiques tout aussi suicidaire, portant les germes d’une guerre mondiale.

Devant ce basculement tectonique du pouvoir, qui se produit au maximum une ou deux fois par millénaire, les nations européennes – mais aussi l’Amérique – doivent décider si elles veulent coopérer de manière productive avec ce nouvel ordre mondial émergent, ou aller vers l’affrontement total (avec l’OTAN, les États-Unis et la Grande-Bretagne) et la tentative d’opprimer la majorité de l’espèce humaine. En choisissant entre ces deux options, nous testerons également notre aptitude morale à survivre. (…)

Helga Zepp-LaRouche a ensuite évoqué deux documents prévoyant une escalade dramatique du conflit en Ukraine, récemment publiés par deux think-tanks de Berlin (la SWP et la DGAP) tous deux proches du gouvernement.

Quel cauchemar ! L’Ukraine, en grande partie détruite, doit être transformée en pays surarmé, en « hérisson », ou plutôt en vache à lait perpétuelle pour le complexe militaro-industriel des deux côtés de l’Atlantique, dans un conflit « gelé » pouvant être réactivé à tout moment. Ce serait un franchissement permanent des lignes rouges de la Russie, qui doit entre-temps être « ruinée » (selon Mme Baerbock) ou durablement affaiblie (Lloyd Austin, RUSI, Jens Stoltenberg etc.).

Pas une seule réflexion sur une issue diplomatique à la guerre, des négociations de paix ou une vision positive pour la population ukrainienne, et encore moins sur un ordre de paix pour le monde dans son ensemble ! Quel esprit laid et destructeur se dégage ici, aucune émotion humaine n’influence la pensée, froide comme un robot guidé par un algorithme vermoulu ! (…)

Néanmoins, Josep Borell, haut-représentant de l’UE pour la politique étrangère, (…) a récemment déclaré que l’Europe était un jardin, tandis que le reste du monde est en grande partie une jungle qui risque d’envahir ce jardin. (…) Cette comparaison déplacée de Borrell nous rappelle la dixième scène de l’acte II du Don Carlos de Schiller, lorsque le marquis de Posa, qui se considère comme un citoyen du monde et à qui il tient à cœur de libérer les Flandres du joug espagnol, se retrouve face au roi Philippe II, le souverain absolu de l’Espagne.

Philippe a une formulation similaire :

« Regardez autour de vous dans mon Espagne. Le bonheur du citoyen y fleurit dans une paix sans nuage ; et ce repos, je l’offre aux Flamands ».

Et Posa répond :

« Le repos d’un cimetière ! Et vous espérez (…) arrêter le printemps universel qui rajeunit la face du monde ? Seul dans toute l’Europe, vous voulez vous jeter au-devant de cette roue des destinées du monde qui poursuit incessamment son cours ? (…) Vous ne le ferez pas ! »

En Allemagne, par exemple, la majorité absolue de la population n’a plus confiance en son gouvernement et, selon les derniers sondages, 79 % sont mécontents de sa politique. Ici, en France, nous avons vu récemment ce qu’il en est du tissu social dans ce « jardin ». Aucun mur ne serait assez haut pour le protéger, estime Borrell ? Eh bien, voyons à quoi ressemblent ces murs aux frontières extérieures de l’UE : le pape François a qualifié à juste titre les centres d’accueil pour réfugiés dans les pays riverains de camps de concentration, entourés de hauts murs protégés par les barbelés de l’OTAN, et dont les conditions inhumaines sont censées dissuader les migrants de s’aventurer sur de petites embarcations en Méditerranée, devenue depuis longtemps un horrible charnier.

L’Europe a tout à gagner à rejoindre le nouveau paradigme

Non, Monsieur Borrell, cette Europe n’est pas un jardin, c’est un continent que des dirigeants politiques compétents, comme Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, voulaient sortir des décombres de la Deuxième Guerre mondiale pour bâtir un avenir meilleur, et qu’une caste politique totalement décadente, ayant oublié son devoir de paix, est en train de conduire à une nouvelle catastrophe qui risque de dépasser de loin les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale.

Et si de vastes parties du monde en dehors de l’Europe peuvent ressembler à une jungle, c’est parce que l’Europe n’a pas développé l’Afrique au cours des siècles passés. Au contraire, des familles bien connues du monde transatlantique ont bâti leur fortune sur le commerce des esclaves, ont profité du commerce de l’opium ou tirent avantage de cet héritier moderne du colonialisme, l’économie casino, dans lequel les riches déterminent les règles de notre ordre fondé sur les règles.

Ou peut-être que d’autres régions sont des jungles parce que les armées d’intervention transatlantiques s’y sont installées, comme l’OTAN l’a fait en Afghanistan pendant 20 ans, durant lesquels rien n’a été construit, avant de quitter un pays en ruines. Ou comme en Irak, un pays en pleine modernisation, renvoyé à l’âge de pierre sous les bombardements, et dont Madeleine Albright estimait que la mort de 500 000 de ses enfants était un prix raisonnable à payer pour avoir le droit de continuer à ruiner le pays. Et on pourrait allonger la liste des raisons qui font que certains pays ne sont pas des jardins, comme la Syrie, le Yémen, la Libye, Haïti, etc.

Mais il y a une solution. Les nations du Sud, qui représentent l’écrasante majorité de l’humanité, sont en passe de se débarrasser des chaînes du colonialisme moderne et créent une nouvelle monnaie internationale, de nouvelles banques de développement, un nouveau système de crédit. (…)

Nous, Européens, et même les Américains, devons abandonner la tentative, irrémédiablement condamnée d’avance, d’endiguer l’ascension de ces pays par le découplage ou le « dé-risquage », et substituer la coopération à l’affrontement, qui ne profite qu’au complexe militaro-industriel. L’Allemagne, la France, l’Italie et toutes les autres nations européennes doivent rejoindre le nouveau paradigme des relations internationales. Nos entreprises, que l’ancien paradigme ruine, peuvent non seulement aider à construire le barrage d’Inga, mais aussi à réaliser le projet Transaqua, qui fournira de l’électricité à 12 autres États africains, et nous pourrions coopérer avec la Chine pour équiper tous les pays du Sud d’un système ferroviaire rapide, construire des ports, des voies navigables, reverdir les déserts par le dessalement à grande échelle de l’eau de mer, construire de nouvelles villes.

Et pendant que nous y sommes, nous pourrons aussi rénover nos propres infrastructures vétustes, au lieu d’enrichir l’industrie de l’armement et d’appauvrir la population. (…) Nous nous engageons à mettre l’Europe – et l’Amérique – sur cette voie. Et rappelons-nous ce que Posa a dit au roi Philippe, et ce que nous, avec Schiller, disons aujourd’hui aux nombreux Borrell :

« Abandonnez cette apothéose contre nature qui nous anéantit ! (…)

Vous voulez planter pour l’éternité et vous semez la mort. Cette oeuvre de contrainte ne pourra survivre à celui qui l’a entreprise. (…). Donnez-nous ce que vous nous avez pris. Soyez généreux comme le fort, et laissez le bonheur tomber de vos mains, laissez les esprits mûrir dans votre large édifice. Rendez-nous ce que vous nous avez pris ; devenez, parmi des millions de rois, un roi ! »

Eh bien, nous n’avons plus besoin de rois aujourd’hui, mais en modifiant les mots de Posa, nous pourrons dire : « Laissez fleurir un jardin parmi des millions de jardins ! »

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