Eclatement de la bulle-dollar ou nouveau système monétaire ?

Les efforts visant à mettre en place un nouveau système monétaire et financier pour remplacer celui reposant sur le dollar américain battent leur plein. A ce stade, plusieurs pays travaillent à finaliser des arrangements leur permettant d’utiliser les monnaies nationales dans les échanges bilatéraux, ou le yuan (renminbi) pour le commerce avec la Chine et des partenaires tiers. Ainsi, le Brésil et la Chine viennent de signer un accord pour le règlement des contrats en yuan, tandis que la société française TotalEnergies est la première entreprise européenne à avoir passé un accord de règlement en yuan pour du gaz naturel liquéfié avec la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC).

Il s’agit de la première étape vers un nouveau système monétaire, a déclaré Alexander Babakov, vice-président de la Douma russe, lors d’un forum tenu le 31 mars à New Delhi. La prochaine étape sera une « nouvelle monnaie », qui devrait être présentée au sommet des BRICS organisé du 22 au 24 août à Durban, en Afrique du Sud. Selon le député russe, cette monnaie sera liée à l’or et à « d’autres groupes de produits ».

En même temps, les banques centrales des BRICS et d’autres pays s’empressent de vendre leurs titres du Trésor américain. En 2022, le Brésil en avait vendu pour 22 milliards de dollars (soit près de 10 % de ce qu’il détient), puis pour 21 milliards de dollars de plus en mars 2023. La Chine, pour sa part, s’est défaussée de 175 milliards de dollars de ces titres en 2022, réduisant de plus d’un quart ses actifs, autrefois considérables. Quant à la banque centrale brésilienne, si ses actifs en dollars comptent encore pour 80 % de ses réserves de change, contre seulement 5,4 % pour ceux en yuans, la part de la monnaie chinoise ne cesse d’augmenter et devient la principale devise commerciale du pays. En Russie, près de 30 % des réserves de la banque centrale russe se chiffrent en yuans.

Du côté de la Banque du Japon, le fait qu’elle ait réduit de 189 milliards de dollars, en 2022, son stock de titres du Trésor américain, montre que les revers de la monnaie américaine ne se limitent pas aux projets d’accords monétaires des BRICS, ni même aux saisies des réserves d’autres nations par Washington pour les punir — bien que ces deux facteurs encouragent fortement les pays non occidentaux à se détourner des Etats-Unis.

Ceci nous amène au troisième facteur sous-jacent : l’accroissement effréné de l’émission massive de dollars depuis une quinzaine d’années et le resserrement du crédit des derniers mois, qui ont contribué à l’autodestruction du billet vert. Au nom de cette politique, on a sabré les investissements productifs et l’augmentation de la productivité, tout en faisant exploser les records de dettes spéculatives impayables (la « bulle de tout »).

C’est ainsi que la politique de la Réserve fédérale a transformé le plus grand marché mondial (le marché public du Trésor américain, estimé à 25 000 milliards de dollars) d’un instrument d’épargne et de crédit en un casino spéculatif extrêmement volatile où jouent les plus grandes banques, fonds spéculatifs et banques parallèles, et qui sert de nantissement à des centaines de milliers de milliards de dollars de paris sur produits dérivés. En fin de compte, ce sont ces institutions financières spéculatives, ainsi que la Réserve fédérale elle-même, qui en viennent à détenir la totalité des bons du Trésor !

Depuis le printemps 2022, la hausse des taux d’intérêt par la Fed a entraîné une contraction de l’économie, le début d’un « resserrement du crédit » et la chute du dollar. Celui-ci a chuté d’environ 8 % ces cinq derniers mois par rapport aux autres grandes monnaies, et de 7 % par rapport au yuan. Le géant bancaire HSBC estimait le 29 mars que cette tendance se poursuivrait pour au moins six mois encore. Mais cela risque d’aller beaucoup plus vite que prévu, au vu de la politique des principales banques centrales.

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