Jacques Cheminade: « Pourquoi l’Ukraine ne doit pas adhérer à l’Union européenne »

Dans une déclaration datée du 9 mars 2022, Jacques Cheminade, le président de Solidarité et Progrès, explique pourquoi l’UE ne doit pas poursuivre l’adhésion de l’Ukraine. Une raison majeure, mais rarement évoquée, en est le rapprochement de fait avec l’OTAN que cela entraînerait. Voici de larges extraits de sa déclaration (en version intégrale ici).

L’Union européenne a lancé le 7 mars l’examen des candidatures de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie, qui les ont déposées à la suite de l’opération militaire russe engagée contre l’Ukraine. Le président Volodymyr Zelensky a demandé que son pays puisse intégrer l’UE sans délai. En même temps, dans une interview à la chaîne américaine ABC, il a laissé entendre qu’il s’était résigné à ce que l’Ukraine n’entre pas dans l’OTAN. Les Etats-Unis ont, de leur côté, annoncé la suspension des importations de pétrole, de gaz et de charbon russes.

Le moment est venu, dans ces circonstances, de prendre rapidement une décision politique en considérant les intérêts vitaux de la France, de l’Europe et des peuples ukrainien et russe. (…)

L’essentiel est de considérer la situation en Europe par delà les considérations géopolitiques, dans le contexte d’une économie mondiale où l’intérêt des peuples est leur développement mutuel. En effet, la solution, par delà la situation en Ukraine, est de créer un nouvel ordre économique et monétaire international qui puisse fonder la paix, comme le firent en leur temps les traités de Westphalie. Il n’y a aucune possibilité hors de celle-là, qui consiste à créer les conditions de la paix, car l’alternative est une guerre destructrice de tous et/ou un effondrement économique généralisé. L’Institut Schiller a ainsi lancé un Appel à convoquer une Conférence internationale afin d’établir une nouvelle alternative de sécurité et de développement pour toutes les nations.

Par apport à cela et dans les circonstances actuelles, entamer la procédure d’adhésion de l’Ukraine à l’UE ne ferait au contraire qu’accélérer la marche de somnambules vers un affrontement suicidaire. Non seulement elle apparaîtrait comme une provocation pour la Russie, mais économiquement, stratégiquement et culturellement, elle ne pourrait rien apporter. Pour les raisons suivantes :

  • La Russie considère à juste titre que les promesses faites après la chute du mur de Berlin de ne pas étendre les forces de l’OTAN au-delà de l’Allemagne réunifiée n’ont pas été tenues. Et que, circonstance aggravante, les pays occidentaux n’ont pas été capables ou n’ont pas voulu imposer les accords de Minsk de 2015 à l’Ukraine. Le président Poutine pense que l’Ukraine et la Russie forment historiquement un même peuple et que les pays occidentaux ont rompu ce lien en faisant de l’Ukraine une plateforme d’agression contre la Russie ;
  • De nombreux dirigeants et services occidentaux ont déclaré que leur politique vise à empêcher le développement économique et technologique de la Russie et de la Chine. La raison en est le contrôle économique et financier de leurs dirigeants par l’oligarchie de la City, de Wall Street et de leurs émanations dans le monde, alors que celle-ci ne peut continuer à exercer son emprise qu’en s’emparant de moyens et de ressources actuellement hors de sa portée. En effet, l’inflation que son système a déclenchée est due à une émission effrénée de monnaie et de crédit à laquelle ne correspond plus la production de biens physiques. C’est un système de capital fictif qui doit nécessairement s’étendre à l’extérieur de ses frontières pour survivre, soit en soumettant les autres, soit en les infiltrant économiquement et idéologiquement.
  • Les sanctions appliquées à la Russie ne seront pas en mesure de déstabiliser le pouvoir russe, soutenu par la majorité de sa population et ses forces armées. Les appels de diverses personnalités occidentales à éliminer physiquement le président Poutine sont en réalité un aveu d’impuissance. Indépendamment du jugement moral que l’on puisse porter sur ce type de considérations, dans le cas où elles pourraient aboutir, elles provoqueraient une situation de désordre et de chaos en Europe et dans le monde, comme le montrent tous les précédents ;
  • Dès aujourd’hui, les sanctions infligées par les pays occidentaux se retourneront contre eux, en raison des contre-sanctions russes. Si l’arrêt des importations de gaz et de pétrole russe ne concerne que 8 % des importations énergétiques américaines, en Europe occidentale elles représentent respectivement 40 % et 30 %. De plus, l’industrie européenne (de pointe, numérique, aéronautique, automobile, etc.) dépend du titane, du palladium et du lithium produits en Russie. Notre agriculture dépend des engrais russes. Une crise généralisée s’ensuivrait de la rupture physique des chaînes de production et de valeur avec la Russie ;
  • Si l’Ukraine était admise dans l’UE, cela reviendrait à y admettre les forces de l’OTAN. En effet, l’UE est liée à l’OTAN par le titre V, article 21 et 42 du Traité de l’UE. Sur les 27 pays membres de l’UE, 21 font partie du commandement intégré de l’OTAN, au sein duquel la France est revenue en 2008. Depuis 2002, les relations entre l’UE et l’OTAN se sont intensifiées. Notamment, par la déclaration conjointe du 10 juillet 2018, le président du Conseil européen, le président de la Commission européenne et le secrétaire général de l’OTAN « conviennent de renforcer la coopération entre l’UE et l’OTAN (…) sa qualité, son étendue et son intensité ». Plus précisément, les signataires encouragent « la participation la plus large possible des Etats membres de l’UE qui ne font pas partie de l’Alliance aux initiatives de celle-ci ». On ne peut être plus clair et la Russie en tire les conclusions qui s’imposent ;
  • Pour toutes les raisons qui précèdent, l’entrée de l’Ukraine dans l’UE serait donc considérée par la Russie comme une agression. Comme il est, de toute évidence, tout aussi clair que cela dégénèrerait en une guerre avec elle, que nous n’avons pas les moyens et qu’il n’est pas de notre intérêt de mener, une autre approche est indispensable.

Jacques Cheminade note que pour assurer la paix en Ukraine, il faut réunir trois conditions : « sa neutralité garantie par les grandes puissances, le respect de ses frontières et le développement mutuel économique, social et culturel pour l’ensemble des composantes du pays ». En outre, il faut lever « l’emprise des forces ultra-nationalistes et néonazies » sur la politique ukrainienne et une partie de sa population.

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